jeudi 27 octobre 2011

Islam et démocratie : un oxymore ?

L'islamisme politique est-il en passe de voler la vedette aux forces progressistes qui ont eu raison des dictatures arabes ces derniers mois ? La question est plus que légitime au lendemain de la victoire de la formation tunisienne Ennhada (renaissance), des appels au retour à la charia du CNT libyen et des pronostics électoraux favorables aux Frères musulmans égyptiens. L'Occident, qu'il eut été spectateur en Egypte et en Tunisie, ou acteur en Libye, se serait-il réjouit prématurément de voir poindre une aube démocratique dans le ciel de la tyrannie arabe ?
Non. L'ovation debout à la quelle ont eu droit respectivement Tunis, Le Caire et Benghazi est  bien méritée et le printemps arabe vient d'enregistrer sa première victoire en Tunisie. Car il convient de prendre la mesure de l'événement historique qu'a représentée la tenue d'élections libres dans le monde arabe le 23 octobre dernier. Pour la première fois, les électeurs tunisiens sont allés aux urnes pour déterminer lequel des partis en lice allait prendre le pouvoir et non pour déterminer par quel écart le parti au pouvoir allait remporter le scrutin. Ceci est une conséquence directe du printemps arabe et constitue une première source de réjouissance pour les démocraties occidentales. 

Certes, d'aucuns auraient préféré entendre, à la place de Rached Ghannouchi,  l'un de ces jeunes révolutionnaires maniant parfaitement Facebook et la langue de Shakespeare prononcer un discours de victoire le 23 octobre au soir. Pourtant, alors qu'ils n'avaient fait que rallier l'insurrection avec des semaines de retard, les islamistes tunisiens ont su renverser la vapeur et empocher les dividendes de la révolution du Jasmin. Tandis que la révolte populaire fut aussi spontanée qu'anonyme car sa mobilisation -  sans véritable leader -  reposait principalement sur les réseaux sociaux naturellement virtuels, le parti islamiste comptait lui sur des années d'opposition organisée au régime. Durement réprimés par les dictateurs, les islamistes tunisiens, égyptiens et libyens ont su tissé en prison, mais aussi dans leurs mosquées, un large réseau politique qui s'est attiré de surcroît les faveurs du peuple grâce à une action sociale tentaculaire s'immisçant dans le vide laissé par la politique sociale de l'ancien régime. Les islamistes ont également séduit car ils incarnent le symbole d'une religiosité accrue qui gagne le monde musulman et qui est souvent perçue comme un rempart contre la corruption.

La percée islamiste sonne-t-elle donc le glas du printemps arabe ? Non plus. Rappelons que la Révolution française a débouché sur la dictature de l'Empire, la Restauration, puis la Monarchie de juillet avant d'enfanter une démocratie stable.
Il convient de clairement distinguer le processus démocratique, qui a été à l'œuvre en Tunisie la semaine dernière, et le résultat de la démocratisation. A l'instar de la société chrétienne, qui a dû aller chercher au plus profond de son ADN ses codes culturels et religieux pour inventer sa démocratie, la société musulmane devra aussi passer par ce long labeur pour façonner sa propre démocratie. Formulons le vœu qu'elle soit davantage inspirée par le modèle turc que par le modèle iranien.

mardi 13 septembre 2011

Israël-Turquie : mieux vaut être sensé qu'avoir raison

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J’ai appris à ma fille à traverser un passage piéton. Je l’ai immédiatement mise en garde. « Même si le feu est rouge pour les automobilistes », ai-je matraqué, « cela ne te dispense en aucun cas de regarder à droite et à gauche avant de traverser. » « A quoi nous servirait-il », ai-je ajouté, « de remporter contre un chauffeur-fou un procès au tribunal correctionnel si c’était pour s’y rendre sur un fauteuil roulant ». Je le reconnais, j’y suis allé un peu fort. Pourtant c’est cette image qui m’est venu en tête en essayant d’analyser les derniers rebondissements survenus ces dernières semaines dans les relations israélo-turques. Les relations internationales sont-elles donc régies par l’honneur des nations ou par leurs intérêts ?

Alors que les tractations au sujet d’une formule de compromis sur les excuses qu’Israël auraient présentées à la Turquie pour la mort de ses 9 ressortissants sur le Navi Marmara étaient en passe d’aboutir et que les deux éminents ministres « sécuritaires » Ehoud Barak et Dan Méridor y étaient favorables, c’est finalement l’honneur qui a pris le dessus. Binyamin Nétanyahou, convaincu par les ultranationalistes Liebermann et Yaalon a fini par trancher et les menaces turques ne se sont pas faites attendre : expulsion de l’ambassadeur israélien, diatribes anti-israéliennes dans les médias turc et arabe, gel des relations commerciales, etc.  Pourtant, formuler ses excuses, qu’il s’agisse de relations humaines ou de relations interétatiques n’est en aucun cas une marque de faiblesse ou une altération du sentiment national et toute l’estime que les Israéliens ont éprouvé à l’égard des soldats du commando de la marine lorsque ceux-ci ont risqué leur vie pour intercepter la flottille turque en serait sorti indemne. Après tout, les faits sont indiscutables : le 31 mai 2010, Jérusalem a imposé par la force le respect de sa souveraineté si bien qu’il semble qu’Erdogan ait été dissuadé de renouveler l’expérience pour la version 2011 de la flotille en calmant les ardeurs de l’IHH. Mieux : sur la scène internationale, Israël a même marqué des points en voyant son blocus maritime légitimé par le rapport Palmer. Les communicants du premier ministre israélien ont beau eu affirmé que des excuses auraient exposé les soldats du commando à des poursuites judiciaires, c’est justement le refus de Jérusalem qui a produit cet effet.  

A l’heure où les commentateurs les plus pessimistes estiment qu’Israël risquerait d’être le premier à prendre un coup de froid à l’arrivée de l’hiver arabe, était-il judicieux de privilégier l’honneur à l’intérêt ?  Le volume des exportations israéliennes  vers la Turquie est estimé à 1.3 milliards de dollars contre une importation de 1.8 milliards de dollars. Même si le commerce militaire entre les deux pays profite plutôt à Ankara qui s’équipe à Jérusalem pour dompter la résistance kurde, la Turquie est le seul pays en paix avec Israël qui possède une frontière terrestre avec l’Iran et qui pourrait offrir  à l’Etat hébreu son espace aérien pour prendre à revers le menaces syrienne et…iranienne. Autre intérêt, non qualifiable mais autrement plus significatif est la nature du régime d’Ankara dont pourrait s’inspirer un monde arabe en gestation. Car même si le parti AKP semble avoir fait ses adieux à la laïcité du kamélisme, la Turquie n’en reste pas moins une démocratie vivace. La seule du Moyen-Orient arabo-musulman. Et ce constat à lui seul devrait suffire aux preneurs de décision à Jérusalem pour arrondir les angles alors que la région est en proie aux influences les plus obscurantistes.  Le régime turc n’a cessé d’être cité en exemple par les révolutionnaires arabes,  aux prémices mêmes des renversements tunisien et égyptien, comme un modèle de démocratie islamique. Ce plébiscite n’a pas laissé Erdogan indifférent et c’est en nouveau champion du monde arabe qu’il débute aujourd’hui une série de visites dans les trois grands fiefs du printemps arabe.

La région est en train de connaitre une profonde mutation, la plus importante peut-être depuis le déclin de l’Empire ottoman et la fin de la première guerre mondiale, comme l’a justement rappelé Binyamin Nétanyahou. Israël ne pourra évidemment pas changer le cours de l’Histoire mais il peut en tout cas éviter de pousser à la faute en se rappelant comme Machiavel que « les Etas n’ont pas d’amis mais des intérêts ».

lundi 5 septembre 2011

Quand Migron me fout la migraine

Linscription "Mahomet est un porc" sur une façade de la mosquée
Cette nuit, les bulldozers de Tsahal ont démoli, sur ordre de justice, 3 habitations de l'implantation illégale de Migron, près de Ramallah en Cisjordanie. En représailles et fidèles à leur politique dite du "prix à payer", des habitants juifs ont incendié le rez-de-chaussée d'une mosquée près de Naplouse et tagué des étoiles de David sur ses façades (oui, je sais il y a comme une incohérence dans le fait que les représailles ne soient pas tout à fait orientées vers le supposé agresseur, ndr). Je sais pas vous, mais moi ce genre d'informations me donne tout de suite envie de m'adonner à de petits exercices de français. Je vous en suggère un ci-dessous et vous invite à laisser vos commentaires sur la question suivante : "La connerie et la haine sont elles universelles ?"

Exercice :
A l'aide de la liste de mots et d'expressions ci-dessous, vous devrez compléter le texte lacunaire n°2 selon l'exemple n°1. Vous vous livrerez ensuite à une comparaison des champs sémantiques des deux textes.

Exemple n°1 :
Le mardi 13 janvier 2009, la synagogue de Lille a été victime d'un acte de vandalisme antisémite. Les assaillants ont bombé en rouge une croix gammée sur la façade du lieu de prière. Ils ont également tagué l'inscription "Mort aux Juifs" et brisé les vitraux de la synagogue.

Liste :
mardi 13 janvier 2009 - synagogue – antisémite – assaillants - croix gammée - "Mort aux Juifs" - brisé les vitraux


Texte lacunaire n°2 :
Le ------------------, la ----------- de -----------, un village au nord de la Cisjordanie, a été victime d'un acte de ------------. Les -------------- ont bombé des ------------ sur la façade du --------------. Ils ont également tagué l'inscription --------------, et ------------------- de la mosquée.

Liste :
lundi 5 septembre 2011 – mosquée – Koussra – vandalisme antimusulman – assaillants - étoiles de David - lieu de prière - "Mahomet est un porc" - brisé une fenêtre

PS : Quand Migron me fout la migraine, je me console en apprenant que ce sont quand même les "rabbins pour les droits de l'homme" qui ont les premiers dénoncé l'infamie...



jeudi 1 septembre 2011

Qu'a-t-on dans les poches ?


Je suis en train d'achever ces jours-ci la lecture de "Pit'om Dfika Ba-Délèt", (Au pays des mensonges, à paraitre chez Actes Sud le 7 septembre 2011) de l'écrivain israélien Etgar Keret. En lisant l'une des 38 nouvelles courtes et surréalistes du recueil, j'ai tout de suite voulu la traduire pour la partager avec mes amis français non hébraïsants. La voici...

 








Qu'a-t-on dans les poches ? 


Un briquet, une pastille contre la toux, un timbre, une cigarette légèrement écrasée, une cure-dent, un mouchoir, un stylo et deux pièces de cinq shekels. Telle est la liste non-exhaustive de ce que j'ai dans les poches. Pas étonnant, donc, qu'elles soient si pleines. D'ailleurs, on me fait souvent la remarque. Les gens me disent : "Eh ! Oh ! qu'est ce que t'as donc dans tes poches ?". La plupart du temps je ne réponds pas. Je me contente de sourire. Voire de rire. Un rire bref. Un rire jaune, comme si on venait de me raconter une blague. Pourtant, s'ils insistaient pour comprendre, je leur montrerais tout ce que j'ai dans les poches. Je leur expliquerais même que tout cela doit être sur moi, à tout moment. Mais ils n'insistent pas : "Eh ! Oh !" ; rire bref ; silence pesant et on passe à autre chose.
En vérité, tout ce que j'ai dans les poches est dûment réfléchi et préparé. Tout est pensé pour qu'au moment crucial je puisse prendre l'avantage ou plus précisément pour que je ne sois pas pris au dépourvu car quel avantage peut bien vous procurer un cure-dent ou un timbre ? Toutefois si par exemple une jolie fille, bon, disons une fille charmante ou juste une fille normale au sourire dévastateur qui vous coupe le souffle vous demande un timbre, ou se trouve là dans la rue, à côté d'une boite aux lettres, par un soir pluvieux, et vous demande si à tout hasard vous connaitriez une poste ouverte à cette heure-ci et qu'ensuite elle se mette à tousser un peu à cause du froid et un peu parce qu'elle est découragée, car elle sait au fond d'elle qu'elle n'a aucune chance de trouver une poste ouverte dans le coin et encore moins à cette heure-ci, et qu'à cet instant crucial  elle ne vous dit pas "Eh ! Oh !..." et ne vous demande pas ce que vous avez dans les poches mais vous est  simplement reconnaissante du timbre que vous venez de lui offrir, ou se contente de vous faire un sourire dévastateur en échange de votre timbre postal, et bien moi je signe tout de suite , même si le prix des timbres décolle et que celui des sourires dégringole.
Après avoir souri, elle dit merci et tousse à nouveau, un peu à cause du froid et un peu parce qu'elle est gênée. Je lui propose alors une pastille contre la toux. " Qu'as-tu d'autre dans tes poches ?", m'interroge-t-elle d'une voix tendre, loin du "Eh ! Oh !..." et des arrière-pensées négatives. Sans hésiter je lui rétorque : "Tout ce dont tu auras besoin mon amour. Tout ce dont tu auras besoin."
Dorénavant vous le saurez. C'est tout ce que j'ai dans mes poches : une certaine chance de ne pas tout détruire. Pas grande, certes, presque improbable, je sais, je ne suis pas con. Une chance infime que lorsque le bonheur arrivera, je puisse lui dire "oui" plutôt que "désolé, je n'ai ni cigarette, ni cure-dent, ni pièces pour le distributeur de boissons". C'est tout ce que j'ai dans mes poches pleines, une toute petite chance de dire oui pour ne rien regretter.




jeudi 4 août 2011

Convaincre est-il utile ?

Dans un clip vidéo percutant diffusé sur Youtube, le vice-ministre des affaires étrangères israélien, Dany Ayalon, issu du parti de droite radicale Israël Beitenou, nous propose de mettre les pendules à l'heure et de dire toute "la vérité sur la Cisjordanie". Le diplomate y déroule avec brio une série d'arguments vilipendant l'utilisation impropre du terme "territoire occupé" pour définir la Cisjordanie. Dans un anglais impeccable – il fut ambassadeur à Washington sous Ariel Sharon – M. Ayalon nous rappelle que si l'Etat d'Israël a, dans un acte d'autodéfense, conquis la Cisjordanie, c'est des mains des Jordaniens et non de celles de la Palestine qui n'existait pas à cette même époque. 


Loin du discours exalté et messianique d'une certaine frange de l'extrême droite israélienne, M. Ayalon démonte étape par étape le narratif palestinien en faisant référence à différentes résolutions des Nations unies.  Nul doute, l'exposé est impeccable. Je dois d'ailleurs dire qu'il sied tout à fait au juif sioniste que je suis. Toutefois, l'on est en droit de se demander quel objectif vise cette démonstration et en quoi fait-elle avancer le schmilblick ? Le ralliement des Palestiniens et de leurs partisans à travers le monde à UNE vérité historique serait-t-elle encline à faire progresser le processus de paix ? De plus, la poursuite d'une seule vérité historique est-elle possible alors qu'il existe autant de vérités historiques que d'historiens ? C'est vrai, la Palestine n'existait pas en tant qu'Etat nation au moment de l'éveil du nationalisme juif, pas plus que n'existaient la Jordanie, la Syrie ou la Libye, toutes nées de la répartition du butin ottoman par les empires français, britannique ou italien au lendemain de la Grande guerre. Les Palestiniens sont peut être nés de nous avoir vu naitre mais leur revendication à l'autodétermination est également née de la vague de décolonisation qui a déferlé sur le Moyen-Orient au début du XXème siècle. Cependant, alors que leurs frères arabes accédaient à l'indépendance, les Palestiniens durent être confrontés à ce qu'ils perçurent, à tort, comme un nouveau round du colonialisme européen, j'ai nommé le sionisme. 

Tel est tout le drame de ce conflit : deux nationalismes légitimes qui s'affrontent et se diabolisent en brandissant les douleurs de leur passé européen. L'effort de communication visant à délégitimer le nationalisme palestinien sous prétexte qu'il n'a jamais existée de souveraineté palestinienne avant 1948 me semble donc  inutile et infécond. Qui mieux que les Juifs, à qui les antisionistes refusent le droit de s'affirmer en tant que peuple et non en tant que religion, pourrait comprendre qu'il ne suffit pas d'avoir une hymne et un drapeau pour pouvoir prétendre à des droits nationaux ? Le vieil adage d'une "terre sans peuple pour un peuple sans terre" est désuet. Il faudra donc apprendre à vivre avec les Palestiniens au-delà de la technicité du droit international car le pire ennemi de la réconciliation est l'assurance de détenir l'absolue vérité. 

PS : En glanant des informations sur la Toile, je viens de me rendre compte que le clip du ministère n'est en réalité qu'un plagiat d'une vidéo publiée en mai dernier par le Centre d'Information du Conseil représentatif des implantations juives de Cisjordanie (Yésha). On se permettra donc de prendre d'autant plus de précautions sur l'"objectivité" du discours de M. Ayalon. 
Visionner le clip